Bonsoir,
Je souhaite vous entretenir à mon tour de problèmes gigantesques qui se trament dans l’ombre et vont très prochainement affecter durablement le quotidien de chacune et chacun, plus ou moins vite selon sa nationalité, j’en suis persuadé.
Depuis des années, (de 1990 à 2013) l’adoption d’un traité international sur le commerce des armes a fait l’objet d’oppositions à une liberté de circulation préjudiciable à la sécurité des plus faibles de la planète.
Le 2 avril 2013, il a été adopté par une grande majorité de pays.
Quelques mois plus tard, plusieurs pays s’en détournaient au nom de la défense des rebelles syriens face à l’éradication que Bachar El Assad a mise en place.
Chacun le sait, il faut toujours faire vivre un traité pour qu’il garde son effectivité.
Je crois aujourd’hui que le problème actuel, nouveau, qui nous est posé est très largement en amont de ces procédures juridiques de niveau international : j’ai lu le livre de Grégoire Chamayou « théorie du drone » aux éditions La Fabrique publié en avril 2013.
Très documenté, c’est un ouvrage de référence sur le sujet, rédigé par ce chercheur en philosophie au CNRS Cerphi ENS de Lyon.
Et je crois intimement que sa pensée analytique doit alimenter les réflexions de la communauté citoyenne, française et surtout au niveau international.
Car les dérives militaires que G. Chamayou décrit par le menu sont de nature à empêcher toute effectivité du droit national ou international :
l’usage des drones tactiques, automates de mise à mort destinés à éliminer les suspects de terrorisme – déjà en service en Afghanistan, au Yémen et en Somalie ((http://www.thebureauinvestigates.com/category/projects/drones/)) – en sont la preuve concrète, bientôt partagée par la France ((http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028338825&dateTexte=&categorieLien=id
1.3.3. Les cinq fonctions stratégiques, les contrats opérationnels et les capacités militaires associées
« Toutes les opérations récentes ont montré l’impérieuse nécessité de disposer de drones, qu’il s’agisse de drones de théâtre de moyenne altitude longue endurance (Male) ou de drones tactiques.»)) et l’Europe.
Or, si les citoyens américains sont informés et commencent à réagir activement ((http://www.activistpost.com/2013/05/drones-against-boston.html
John W. Whitehead, president of The Rutherford Institute, is calling on Congress to be proactive in adopting safeguards to protect Americans against the domestic use of weaponized surveillance drones. In his written testimony to the Senate Judiciary Subcommittee, Whitehead pointed out that there has been no public discussion whatever of the issue – of the dangers or the numerous risks, and “warned against any government use of drones without appropriate civil liberties protections …”)) contre cette automatisation inepte des assassinats à distance – bien souvent trop à l’aveugle vu le nombre de morts civils pris pour des cibles terroristes – relayés parfois par des ONG ((http://takeaction.amnestyusa.org/siteapps/advocacy/ActionItem.aspx?c=6oJCLQPAJiJUG&b=6645049&aid=519442)), ((http://www.hrw.org/fr/news/2014/02/20/etats-unis-une-frappe-de-drone-au-yemen-peut-etre-enfreint-la-politique-mise-en-plac)), le silence risque de se dissiper en Australie et en Nouvelle Zélande puisque deux de leurs ressortissants viennent d’en être eux-mêmes les victimes ((http://www.thebureauinvestigates.com/2014/04/17/us-strike-kills-australian-and-new-zealander-in-yemen/
A report in The Australian quoted a senior counter-terrorism source who described them as ‘foot soldiers’. The source said: ‘The Americans advised us that they had intelligence that suggested they may have been in the car and may have been collateral damage.’
They were not the intended targets of the strike, which aimed to kill Abu Habib al Yemeni, the paper reported. The Yemen attack could have been carried out by one of two US forces operating in Yemen: the CIA, or Joint Special Operations Command (JSOC), a military unit.)).
Faudra-t-il attendre que des Français soient des « dommages collatéraux » pour entamer une réflexion profonde sur le sujet du droit à la vie sur la planète dans notre pays issu du “siècle des Lumières”, droit suprême parmi les droits humains ?
Le premier constat fait état d’un décalage cataclysmique du nouveau “ conflit ” – tant dans sa forme militaire que stratégique, niant à la fois l’espace de conflit et son temps, de même que dans les conceptions du « droit de la guerre et de la police » et dans l’idéologie nouvelle qui les sous-tend – à laquelle certains pseudo-philosophes israéliens ((http://champpenal.revues.org/8709
L’auteur (Grégoire Chamayou) évoque une nouvelle philosophie du « bien tuer » (qualifiée de nécroéthique), assise sur la justification impériale d’une mise à mort sans réciprocité possible, telle que justifiée par un Daniel Reisner, juriste israélien « éthicien de la guerre » (sic). Ayant décidé que la défense de mon pays menacé, Israël ou États-Unis, était légitime, je suis libéré de la prohibition de mettre à mort mes ennemis parce que 1/ mon combat est juste à la différence du leur et 2/ j’ai les moyens d’agir en limitant les dégâts dans le cadre d’un conflit où la vie de mes soldats m’importe assez pour ne pas accepter de les perdre.)) puis américains cherchent juridiquement et éthiquement à trouver des fondements légitimes, créant des assemblages sophistes opportunistes, hors de toute pensée philosophique fondée historiquement ou consensuelle.
La notion du conflit, avec la guerre robotisée, est en train d’abandonner la situation historique où des belligérants appliquent la force militaire à leur adversaire de façon réciproque : les possibilités de représailles sont désormais déniées à l’adversaire, assassiné à distance par des robots hors d’atteinte et, même si ces derniers étaient abattus, il ne s’agirait en aucun cas des militaires qui les actionnent à des milliers de kilomètres, lesquels ne sont engagés que par la pensée et leurs gestes, relayés par les technologies.
La notion de territoire de conflit vole également en éclats, puisque les militaires, depuis le Patriot Act, se détournent des formes conventionnelles de guerre pour une chasse aux terroristes ; ils définissent ainsi des « letal box » – sortes de cubes létaux paramétrant l’espace réel, attribués informatiquement à des « cibles potentielles » en des lieux attachés non plus à l’espace physique mais aux déplacements de celles-ci : un moment ici, un moment ailleurs, détruisant pour les assaillis toute représentation géographique possible de la zone de conflit ou de la ligne de front, rendant ceux-ci incapables de définir une stratégie spatiale.
La notion de temps de conflit est également évacuée, faisant planer sur les troupes adverses la menace permanente d’une mort imminente téléguidée, de même que sur les populations limitrophes.
La notion de « combattant » elle-même est balayée, puisqu’un homme en arme – dans le moins démoniaque des cas – peut être assimilé par les pilotes de drones (installés derrière leurs écrans à des milliers de kilomètres et le drone étant en altitude) à la notion de « terroriste » laquelle justifie sa désignation comme cible (“target”).
Sans parler des décisions prises pour l’identification, de façon unilatérale, via les systèmes d’information sophistiqués, et avec les erreurs de détermination techniques incontournables, c’est le fait même de l’acte d’assassinat prémédité qui apparaît en toute lumière, puisqu’une liste de cibles à détruire est régulièrement transmise au président Obama pour ratification ((http://www.thebureauinvestigates.com/2012/06/19/analysis-oversight-failures-help-oil-obamas-killing-machine/)).
Les droits de la guerre et de la police sont mixés sans distinction, mêlant usage disproportionné de la force dans le second cas à des opérations de guerre justifiées dans le premier par des attaques répétées et importantes de l’opposant, ici incapable de toute riposte physique.
De plus, devant ces impossibilités à justifier de tels actes, les militaires ont fait appel à un philosophe qui n’hésite pas à poser que les soldats ont les mêmes droits à être protégés par leur État que les autres citoyens et à ce titre, que l’utilisation de machines tueuses est absolument nécessaire.
La question soulevée par G. Chamayou, a fortiori, de la question de la responsabilité juridique à engager dès lors qu’un drone équipé d’un logiciel de prise de décision automatisée a commis un massacre devient impossible à trancher : la CPI devrait-elle se retourner vers « le général qui l’a déployé, l’État qui en est propriétaire, l’industriel qui l’a produit, les informaticiens qui l’ont programmé ? »
Dans ce nouveau contexte qui a la faveur grandissante des pays les plus avancés technologiquement, la définition de l’être humain, de sa dignité et de ses droits fondamentaux vacille en abîme.
Il est réduit au rang des objets destructibles dès lors qu’il apparaît aux yeux de militaires ou à leurs robots tueurs comme un objet statistique proche des modèles de cibles prédéfinies.
L’ensemble du droit à la vie, mais aussi l’ensemble du droit à une justice, la possibilité même d’une justice, sont remis en cause puisque les drones n’admettent pas la possibilité d’une proportion dans la riposte, pas plus que la détention de prisonniers.
L’éradication devient ubiquitaire, l’épuration propre et technologisée dans les discours, sale et infâme dans la réalité, la solution finale convenue pour quelques-uns, aux seules mains de quelques décideurs mondiaux, sont le nouveau standard en passe de diriger les possibilités de vie sur la Terre.
Suite à cette étude cataclysmique, il est urgent – peut-être même trop tard ? – de définir quelles pistes un mouvement de défense des droits humains mais plus largement un mouvement de citoyens défendant le droit à la vie doit définir pour s’opposer, tant les plans d’existence de toute construction sociétale humaine sont remis en cause.
Je suis convaincu que c’est l’ensemble de la civilisation, des civilisations, qui passe sans appel sous un joug omnipuissant. Toute philosophie de l’être est bannie dès lors que le drone (mais aussi l’ensemble des engins automatisés, extrêmement nombreux et diversifiés) est en capacité de détruire au-delà de toute loi consensuelle quiconque s’opposera à certains intérêts.
Quand serons-nous assimilés par quelques logiciels opportunistes à une organisation terroriste détectée par les « mouchards » de la NSA ou d’ailleurs ?
De quelles puissances meurtrières nouvelles, appartenant à quel État, serons-nous tous, humains, les cibles, contrevenant par notre liberté de penser aux nouvelles règles définies et redéfinies non seulement via le numérique mais via l’information militaire d’armées variées, régulières, mercenaires et robotisées ?
Orwell était très loin de supposer ce désastre immonde de la pensée politique stratégique et la fin de toute philosophie de la vie et de l’esprit.
Réponses extrêmement difficiles.